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26 février 2025
Autobahn
Canva

Autoroute: ralentir plutôt qu’élargir

Sur les autoroutes aussi, la définition de la vitesse adéquate est un sempiternel débat. Depuis plus de 50 ans, on discute, on change d’avis puis de règlementation puis encore d’avis. Pourquoi est-ce si dur de ralentir?

Limiter la vitesse sur les autoroutes à 100 kilomètres à l’heure, voire 80 sur certains tronçons, permettrait d’améliorer la fluidité du trafic tout en réduisant la consommation de carburant. Ce sont les arguments évoqués dans une motion déposée en décembre dernier par le conseiller national Raphaël Mahaim. Dans le sillage du refus de la population d’élargir les autoroutes, l’élu entend ainsi répondre à la problématique des embouteillages constatés sur divers axes autoroutiers. Ralentir plutôt qu’élargir: l’idée n’est pas folle – ni nouvelle. La limitation de la vitesse sur les routes et les autoroutes du pays a connu débats et rebondissements depuis des décennies.

Premières réglementations

En mars 1932, le Parlement suisse adopte la «loi fédérale sur la circulation des véhicules à moteur et des cycles». Si on y parle de vitesse, aucune limitation n’est mentionnée. Le texte mise sur la responsabilité des automobilistes, les enjoignant simplement à adapter leur conduite aux conditions de la route et du trafic. À cette époque, la technologie est autant contraignante que la loi; l’allure moyenne des véhicules est inférieure à ce que nous connaissons aujourd’hui.

Avec l’essor de l’industrie automobile, les voitures plus rapides et plus nombreuses soulèvent des préoccupations en matière de sécurité. En 1958, la loi fédérale sur la circulation routière est adoptée et pose les bases de la législation encore en vigueur aujourd’hui. Elle impose une limitation de vitesse à 60 km/h en localité, qui sera finalement abaissée à 50 km/h en 1983. Sur les autoroutes cependant, la loi ne préconise rien.

Tout schuss sur l’autoroute

En 1963, l’ingénieur du canton de Nidwald demande à l’Office fédéral des routes d’examiner la possibilité de limiter la vitesse à 100 km/h sur l’A2. Nous sommes quelques années après l’ouverture de l’autoroute entre Lucerne et Hergiswil, considéré comme le premier tronçon en Suisse, et un très grave accident vient de coûter la vie à trois personnes. L’ingénieur cantonal évoque ainsi des arguments sécuritaires, mais le Conseil fédéral balaie la proposition. La réponse est claire: il ne souhaite pas imposer de limitation de vitesse sur les autoroutes suisses.

Les décennies qui suivent témoignent des sinueux détours qui mèneront finalement au 120 km/h aujourd’hui en vigueur. Ce n’est pas la sécurité mais la crise pétrolière qui impose les premières limitations de vitesse sur nos autoroutes. En 1973, elle pousse le Conseil fédéral à y instaurer le 100 km/h comme mesure visant à éviter une pénurie de carburant. Peu après, on réhausse la limite à 130 km/h en guise de test. Jugé convaincante, la limitation est adoptée en 1977… puis réduite à 120 km/h quelques années plus tard afin de réduire la pollution atmosphérique.

Dans les années 80, on s’inquiète de l’état de la planète et en particulier du dépérissement des forêts helvétiques. Le Conseil fédéral débat alors d’un abaissement à 80 km/h sur les autoroutes, ce qui provoque de vives réactions et le lancement de la récolte de signatures pour l’initiative populaire «Pro vitesse 130/100». Elle demande le rehaussement de la vitesse à 130 km/h sur l’autoroute et 100 km/h hors localité, où l’on peut alors rouler jusqu’à 80 km/h. Soumise au peuple en 1989, l’initiative sera rejetée par 62 % des votantes et des votants.

Pour la fluidité du trafic, pour la sécurité routière ou comme mesure environnementale, les avantages d’une vitesse réduite ont pourtant maintes fois été démontrés.

Nombreux avantages...

Pour la fluidité du trafic, pour la sécurité routière ou comme mesure environnementale, les avantages d’une vitesse réduite ont pourtant maintes fois été démontrés. Lorsque la première limitation est instaurée sur les autoroutes, en 1973, les autorités observent une diminution de 50 % du nombre d’accidents. «Le constat est simple: si on relève une limite de vitesse, le nombre d’accidents de la route graves augmente. Si on l’abaisse, leur nombre diminue», résume Stefan Siegrist, directeur du Bureau de prévention des accidents. Ainsi, en matière de sécurité routière, la vitesse est le rouage central de l’engrenage. Si on le fait tourner, l’ensemble du mécanisme se met en mouvement: lorsque l’on roule plus vite, la perception est moins bonne, la distance de freinage s’allonge et la probabilité d’un accident augmente, tout comme sa gravité.

À l’inverse, une diminution de quelques kilomètres à l’heure fluidifie le trafic – en ville comme sur les autoroutes. L’Office fédéral des routes (OFROU) teste depuis quelques années une limitation à 80 km/h sur certains tronçons du réseau autoroutier afin de réduire les embouteillages. Et ses conclusions sont sans appel: le 80 km/h permet de fluidifier le trafic sur les axes très fréquentés. À l’avenir, l’OFROU envisage de l’imposer aux heures de pointe.

Enfin, l’abaissement de la vitesse s’accompagne de nombreux avantages pour l’environnement. Il permet de limiter les émissions de gaz à effet de serre car il réduit la consommation de carburant des véhicules. Ce dernier point en fait une mesure par ailleurs économiquement intéressante pour les automobilistes – en plus d’être aisément mise en place.

... mais difficile adhésion

Si elle n’a rien de nouveau ni d’extrême, la motion de Raphaël Mahaim récolte son lot de réactions négatives. Comme à chaque tentative de réduire la vitesse ou l’emprise du trafic motorisé individuel, la droite politique et les milieux automobiles s’indignent et fustigent des mesures jugées inefficaces, punitives voire «liberticides». 

On observe des débats similaires au-delà des frontières helvétiques. Ce fut par exemple le cas en 2020 aux Pays-Bas, lorsque la vitesse maximale autorisée sur les autoroutes a été réduite à 100 km/h pendant la journée. La décision s’imposait comme une sorte de mesure de compensation dans un contexte où des milliers de projets de constructions avaient été stoppés en raison du dépôt d’une trop grande quantité de composés azotés. Ralentir la vitesse sur les autoroutes durant la journée devait permettre de reprendre les chantiers.

Mais la mesure était loin de recueillir l’adhésion. Le Premier ministre l’avait adoptée en grinçant des dents, la qualifiant même de «terrible». Moins de la moitié de la population se disait alors favorable au 100 km/h. Pourtant, les sondages menés par la suite ont montré une nette évolution de l’opinion publique. Deux ans après l’introduction de la mesure, 60 % des personnes sondées se prononçaient même pour une réduction à 90 km/h sur l’autoroute. Malgré les exemples positifs, il n’en reste pas moins difficile de convaincre.

Le système économique et les développements technologiques ont permis l’accélération et la densification des flux, souvent dans un objectif de rentabilité. Difficile de prôner la décélération dans une société qui associe vitesse et progrès.

Économie de vitesse

Le débat est émotionnel car il s’inscrit dans une représentation plus globale de la notion de vitesse. Au cours des dernières décennies, les rythmes de vie se sont intensifiés à mesure que s’accéléraient les déplacements, la consommation, la communication. De la vitesse du pas, nous avons avancé à celle du cheval, puis de l’automobile, de la locomotive à vapeur, de l’avion. Cette accélération du monde traduit en mouvement l’avancée des technologies.

Dans une société où le temps est une ressource à maximiser, la vitesse est synonyme d’efficacité. Gagner du temps, c’est gagner de l’argent. Le système économique et les développements technologiques ont permis l’accélération et la densification des flux – de personnes, de marchandises, d’information – souvent dans un objectif de rentabilité. Difficile de prôner la décélération dans une société qui associe vitesse et progrès.

Aujourd’hui pourtant, le modèle vacille. La recherche effrénée de productivité, d’efficacité, de vitesse montre ses conséquences sociales et environnementales. Embouteillages, accidents, pollution, mais également stress, anxiété et épuisement deviennent les symptômes d’un système qui s’essouffle. Dans le contexte professionnel comme dans nos relations sociales, la frénésie nous essore. Et à celui ou celle qui, usé·e d’avoir trop couru, se résigne à consulter pour ne pas s’effondrer, le monde médical répondra sans surprise: «Essayez de ralentir!»