Le pire de tous les moyens de transport
Vouloir continuellement étendre l’infrastructure automobile contre tout bon sens a des conséquences qui vont au-delà de la crise climatique. La politique actuelle conduit à une impasse.
Ça bouchonne sur les routes de Suisse! Ces dernières années, les heures d’embouteillage – à l’exception notoire de la période de confinement liée à la pandémie de Covid-19 – n’ont cessé d’augmenter. À maints endroits, aux heures de pointe, le réseau autoroutier suisse est saturé voire à l’arrêt. Les points névralgiques et leurs solutions de contournement sont depuis longtemps connus de tout le monde – notamment du fait que la radio nous en informe jour après jour.
Les milieux économiques et les partis bourgeois n’ont de cesse de répéter qu’on se trouve à l’aube de l’effondrement du système routier, menaçant de paralyser le pays tout entier. Pour qui se souvient des promesses de la politique des transports de ces dernières décennies, cette crise permanente de la route a de quoi étonner. Une bonne partie du réseau des routes nationales n’a pas plus de 30 ans et les tronçons initiaux ont déjà été élargis plusieurs fois. Pour chacune de ces extensions, l’argument avancé était le même: «Le trafic sera plus fluide!» Et voilà qu’aujourd’hui les problèmes auxquels la troisième génération d’automobilistes se trouve confrontée sont exactement les mêmes.
L’utilisation de l’espace routier – qui représente plus du quart de la surface construite en Suisse – est spectaculairement inefficace. Dans notre pays, les voitures – dont la taille ne cesse d’augmenter – ne transportent que 1,1 personne en moyenne en trafic pendulaire et 1,9 pour les activités de loisirs. Vouloir combattre l’engorgement du trafic routier par de nouveaux contournements n’est pas la bonne méthode. Pour avoir un avenir, les transports routiers doivent avant tout se plier à un régime amincissant.
Aux heures de pointe, le réseau autoroutier suisse est saturé voire à l’arrêt. Les points névralgiques sont connus de tout le monde – notamment du fait que la radio nous en informe jour après jour.
Une logique dépassée
Insouciant, l’Office fédéral des routes (OFROU) persiste dans sa logique dépassée de vouloir résoudre les problèmes de circulation par davantage de routes. Pourtant, l’OFROU, tout comme la science des transports, connaissent parfaitement les risques et les effets secondaires: Les routes appellent le trafic. Ainsi, par exemple, l’OFROU prévoit l’élargissement du viaduc de Felsenau à Berne pour 2040. Pourtant, on sait déjà que les mesures de délestage du Grauholz – l’extension à huit voies de l’autoroute à l’est de Berne prévue pour cette décennie – entraîneront très vite la saturation du tronçon de Felsenau. Les spécialistes nomment ce phénomène «trafic induit».
Fausse solution
L’amélioration résultant de la construction de nouvelles routes n’est que passagère. Les nouvelles capacités disponibles invitent à circuler davantage: davantage de gens envisagent d’utiliser le nouveau tronçon pour leurs déplacements et planifient leurs lieux de domicile, de travail ou de loisirs en conséquence.
L’élargissement d’une autoroute augmente également les distances parcourues, puisqu’on y roule non seulement plus vite, mais également plus souvent. C’est alors qu’un cercle vicieux s’amorce jusqu’à épuisement des capacités. Il est aussi illusoire de croire qu’une extension autoroutière serait un remède contre les émissions polluantes engendrées par un embouteillage.
La stratégie routière surdimensionnée menée par la Confédération dans les années 60 était basée sur le concept de villes conçues pour la voiture, avec une desserte des centres urbains par des routes à haut débit de plusieurs voies sur le modèle américain. C’est grâce à la résistance active de la population locale que les pires projets ont pu être évités. Certaines des réalisations qui se sont tout de même imposées apparaissent aujourd’hui encore comme des plaies béantes dans le paysage urbain. Mais les problèmes de transport subsistent et ne font qu’empirer.
Un danger pour les autres
La population a compris depuis longtemps qu’un tel système ne pouvait pas fonctionner. Les déplacements des un·es sont avant tout une nuisance pour les autres. C’est dans les villes que le phénomène est le plus visible. Nulle part ailleurs la pollution sonore, les effets négatifs de la circulation routière sur la qualité de l’air et les risques pour les personnes les plus vulnérables sur la chaussée n’apparaissent avec autant d’acuité. Étonnamment, c’est là aussi que la proportion de ménages sans voiture privée est la plus forte.
Par ailleurs, la forte densité du trafic routier est la principale raison évoquée en Suisse par les personnes qui craignent de se déplacer à vélo ou à pied, alors qu’elles seraient volontiers disposées à le faire. Pour les enfants, les personnes âgées ou les gens qui ne peuvent pas conduire une voiture, l’obstacle que constitue le trafic routier s’exprime plus durement encore.
Effets secondaires
Au nombre des effets secondaires, il faut inclure des phénomènes qui apparaissent loin des autoroutes. En effet, l’extension des principaux axes routiers non seulement détruit de précieuses zones de cultures et appauvrit la biodiversité, mais elle étend ses effets néfastes bien au-delà.
Plus les gens se déplaceront en voiture, plus il faudra créer des parkings près des centres commerciaux, des sites de loisirs et des lieux de travail. Logiquement, chaque voyage en voiture nécessite au moins une place de parc au départ et une à l’arrivée. Et plus la voiture détruira la nature, plus les gens auront tendance à s’établir dans des zones à faible desserte en transports pour fuir le trafic et y construire dans la verdure une maison familiale et son garage.
Insouciant, l’Office fédéral des routes persiste dans sa logique dépassée de vouloir résoudre les problèmes de circulation par davantage de routes.
Rejets nocifs
Les conséquences de l’extension continuelle des routes sont particulièrement nuisibles aux écosystèmes et à la santé. En cas de déboisement pour la construction de routes, des reboisements sont certes entrepris à titre de compensation, mais au détriment de l’agriculture. Cela accentue encore le recul des surfaces arables déjà restreintes, affaiblit l’agriculture suisse et, par la même occasion, la sécurité d’approvisionnement du pays – sans parler de la grave pollution des sols par les métaux lourds due aux gaz d’échappement.
L’émergence de la voiture électrique ne résoudra de loin pas tous les problèmes environnementaux. Et le jour où toutes les voitures seront électriques, l’usure des pneus restera la principale source de microplastiques. Ceux-ci s’accumulent dans les endroits les plus reculés de la planète, se déposant dans les eaux et les êtres vivants. Les nuisances de la pollution sonore sont les plus connues. Mais la voiture électrique n’y changera rien, puisque dès 30 km/h c’est le bruit de roulement qui domine.
Financièrement également, les nouvelles routes sont un non-sens. Ainsi, le budget prévu pour le contournement partiel de Saint-Gall permettrait de réactiver le réseau de tram sacrifié dans les années 50 sur l’autel de la foi en la voiture.
Les transports ont besoin d’efficience
De tous les moyens de transport, l’automobile est de loin le moins efficient par rapport à la surface utilisée. Dans notre pays densément peuplé, elle n’est pas une solution d’avenir. Les milieux qui se soucient de l’efficience de l’infrastructure en considération de la croissance de la population devraient s’investir pour un système de transport ménageant les ressources et l’espace et favorisant les personnes les plus vulnérables au lieu de les refouler par une déferlante de tôle sur la chaussée. Vouloir améliorer la mobilité de la population par l’extension du réseau autoroutier est une illusion: on obtient le résultat inverse.
Selim Egloff est responsable de projets de politique des transports à l’ATE Suisse. Il apprécie que la bretelle autoroutière prévue devant sa fenêtre durant son enfance n’ait jamais été réalisée.