Aller au contenu
4 novembre 2024
Schaffhausen Non aux projets autoroutiers extrêmes
Manuel Lopez

Un puits sans fond

L’extension des autoroutes est devisée à 5,3 milliards de francs. Mais la facture finale pourrait être bien plus salée. En effet, quand la Confédération s’attèle à un grand projet, les coûts finissent souvent par être plus élevés que prévu.

Par Andreas Käsermann

On attend de la Confédération une certaine expertise dans le maniement des chiffres. Mais l’impression est trompeuse. Cet été, l’Office fédéral des assurances sociales en a pris pour son grade après la découverte d’une erreur de calcul de 4 milliards de francs dans les prévisions relatives au financement de l’AVS. La situation de la prévoyance vieillesse n’était soudain plus aussi précaire qu’on le pensait.

La joie aura été de courte durée: quelques semaines plus tard, le Conseil fédéral livrait de nouveaux chiffres avec, cette fois-ci, une différence de deux milliards de francs. Ces erreurs ont rendu l’opinion publique méfiante et se sont soldées par un verdict sans appel aux urnes: le peuple a rejeté la réforme du deuxième pilier.

Offices en campagne

Dans d’autres domaines également, les calculs de l’administration fédérale n’ont pas su convaincre. L’OFROU, l’Office fédéral responsable des routes nationales, a calculé le coût des embouteillages sur les autoroutes. Il est parvenu à la conclusion que le bénéfice de l’extension des autoroutes pour l’économie publique était de 184 millions de francs par année.

Cet été, la NZZ am Sonntag a révélé que ces chiffres étaient problématiques. En plus d’être imprécis, ils sont dépassés. L’OFROU en a pleinement conscience. Il avance toutefois que les nouvelles bases de calcul ne sont pas encore reconnues par la branche et qu’elles n’ont donc pas été utilisées. Fait intéressant, la nouvelle méthode de calcul montre aussi que l’économie publique profite d’autoroutes plus larges. Par contre, le bénéfice n’est plus que de 65 millions, un chiffre moins spectaculaire que les 184 millions de départ.

Le message adressé par le Conseil fédéral au Parlement ne cite que le montant le plus élevé. Les nouveaux chiffres, plus précis, ne figurent même pas dans les notes de bas de page. L’OFROU suppose que la nouvelle méthode ne sera applicable que dans quelques mois, c’est-à-dire après la votation. Ce hasard mérite d’être relevé, surtout si l’on considère que la question posée aux citoyennes et aux citoyens le 24 novembre porte sur le coeur de métier de l’office fédéral.

Un budget, beaucoup de questions

Les chiffres généreux sur les bénéfices du projet ne sont pas les seuls à aider les stratèges de la campagne. Des coûts prévisibles aussi faibles que possible rendent une victoire aux urnes plus probable.

Même si 5,3 milliards de francs pour 30 kilomètres de nouvelles pistes et quelques tunnels sont une belle somme, il s’agit probablement d’un minimum. L’expérience montre en effet que dans les campagnes, les chiffres avancés sont pratiquement toujours dans la fourchette inférieure des coûts afin de ne pas risquer une défaite aux urnes. Quand on prend conscience des coûts réels une fois le projet lancé, il est généralement trop tard pour revenir en arrière. Qu’on le veuille ou non, des fonds supplémentaires doivent être débloqués. Les exemples sont nombreux. En voici trois, emblématiques:

  • Nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes (NLFA): lors de la votation populaire de 1998, le Conseil fédéral tablait encore sur des coûts de 13,6 milliards de francs. En fin de compte, ils ont atteint 22,8 milliards. Dépassement: 68 %
  • Achat des avions F/A-18: en 1993, les coûts de l’achat de 34 avions de combat FA-18 avaient été estimés à environ 3,5 milliards de francs dans la brochure d’explications du Conseil fédéral distribuée avant la votation. Facture finale? Environ 5 milliards de francs, soit plus 43 %.
  • Tunnel de Belchen: le troisième tunnel routier de Belchen devait à l’origine coûter 270 millions de francs. Cette somme n’était de loin pas suffisante: l’ouvrage a coûté au total près de 500 millions, soit 85 % de plus que prévu.

Les 5,3 milliards de francs ont probablement été calculés au plus juste. Nous le savons par expérience. En outre, la construction des quatre projets de tunnels devrait nous valoir des surprises et des coûts supplémentaires.

Martin Winder

Quand la Confédération s’attèle à un grand projet, les coûts sont quasiment toujours dépassés. Parfois, la différence est considérable. Mais ce phénomène n’est pas l’apanage de la Suisse. Une étude de la Hertie School of Governance s’est penchée sur 170 grands projets publics en Allemagne. L’écart entre les coûts planifiés et réels était de 73 % en moyenne. Le record est détenu par la centrale nucléaire de Kalkar: terminée en 1985, elle a coûté 494 % de plus que prévu, mais n’a jamais été mise en service. Un investissement ruineux.

Baromètre des prix à la hausse

Martin Winder, responsable du secteur Politique des transports et campagnes à l’ATE, s’attend aussi à des dépassements de coûts dans les projets d’extension des autoroutes: «Les 5,3 milliards de francs ont probablement été calculés au plus juste. Nous le savons par expérience. En outre, la construction des quatre projets de tunnels devrait nous valoir des surprises et des coûts supplémentaires.»

Le budget repose sur un scénario du meilleur cas possible et sur les prix du début des années 2020, ajoute Martin Winder. Dans le domaine routier, les coûts de construction ont toutefois augmenté, et ce pour plusieurs raisons: «L’inflation est un facteur important. Des prix plus élevés pour les services et l’énergie font exploser la facture.» Dans le monde entier, les prix des matériaux de construction comme l’asphalte, le béton, l’acier et d’autres matières premières nécessaires ont pris l’ascenseur ces dernières années. «Ces matières premières sont disponibles en quantités limitées, les coûts de transport sont plus élevés et la demande grimpe dans d’autres secteurs également.»

L’entretien, la grande inconnue

Les autoroutes ne coûtent pas seulement de l’argent lors de leur construction: elles doivent aussi être entretenues. Dans son dernier rapport d’état des routes nationales, l’OFROU note que l’état du réseau est considéré comme «bon à satisfaisant», bien que la valeur cible ne soit pas atteinte partout. En effet, certains équipements d’exploitation et de sécurité sont «dans un état alarmant». Cela concernerait en particulier des tunnels. L’OFROU a pris des mesures pour remédier à ces déficiences. «En 2023, l’OFROU a investi 1,23 milliard de francs dans l’entretien et par conséquent dans la conservation du réseau des routes nationales» – un montant «nettement supérieur à la moyenne des dix dernières années», comme l’écrit l’OFROU. En réalité, ce poste coûte environ 166 millions de plus qu’un an auparavant.

Martin Winder concède que l’entretien est important pour la sécurité, mais rappelle qu’il a un prix: «Calculé sur les 2259 kilomètres de réseau de routes nationales, l’entretien d’un kilomètre coûte 544 000 francs par année.» Ce poste du budget a augmenté ces dernières années et cette tendance devrait se poursuivre avec la multiplication du nombre de pistes, prévoit le spécialiste. «Nous ne voulons pas que les autoroutes déjà construites se dégradent. Mais leur extension ne doit pas non plus les rendre plus chères. Nous le devons
à nos enfants.»