Quand le son devient-il nuisance?

Camille Marion

Le seuil de tolérance acoustique varie d’une personne à une autre en fonction de l’origine, du volume et du contexte dans lequel le son est émis. Entre les nuisances sonores et le bruit qui calme, l’équilibre est fragile.

Pourquoi suis-je davantage dérangée par le bruit de l’autoroute que par celui, tout aussi assourdissant, d’un torrent de montagne? Comment expliquer que le bruit de l’aspirateur effraie le chat alors qu’il endort le bébé? Pourquoi certaines personnes ont-elles besoin d’un bruit de fond pour travailler quand la concentration d’autres requiert un silence total? Les sons qui nous entourent forment une toile invisible, une texture complexe qui colore notre quotidien de nuances – certaines plus agréables que d’autres.

Qu’est-ce qui transforme un son en bruit, voire en nuisance? Les définitions varient car l’appréciation est individuelle. Pour Anthony Pecqueux, sociologue spécialiste de l’étude des urbanités sonores, le son devient bruit lorsqu’il revêt une dimension sociale: «Le bruit désigne un son au coeur de la vie urbaine, et potentiellement sa conflictualité.» Ce caractère dérangeant dépend de nombre de facteurs, à la fois contextuels et personnels.

Nuancer les définitions

L’intensité d’un son est assurément sa première caractéristique, en particulier lorsque l’on parle de son effet sur notre perception. Un volume sonore élevé est souvent synonyme de désagrément, raison pour laquelle les instruments législatifs s’appuient majoritairement sur cet indicateur. Pourtant, le nombre de décibels ne suffit pas à lui seul pour désigner un bruit comme étant une nuisance.

L’exemple de l’Allemagne illustre la dimension plurifactorielle des enjeux liés au bruit: jusqu’en 2011, la loi allemande relative à la protection contre les effets nocifs sur l’environnement résultant des pollutions de l’air, des bruits, des vibrations et des phénomènes similaires (Bundes-Immissionsschutzgesetz) ne faisait aucune différence entre les émissions sonores de l’industrie et les éclats de voix ou de rire s’échappant d’une cour de récréation. Nombre de riveraines et riverains de crèches ont alors porté plainte, sonomètre à l’appui, contre les nuisances sonores provoquées par les enfants qui fréquentent ces structures d’accueil. Las des nombreux conflits de voisinage et de leur importantes conséquences allant jusqu’à la fermeture de crèches, le parlement a finalement adopté une loi interdisant les plaintes contre le bruit des aires de jeu.

Volume sonore et contextes

En matière de bruit, la mesure uniquement quantitative ne suffit donc pas à définir une nuisance. Au-delà des décibels, le bruit nous affecte davantage selon sa durée et son aspect répétitif. Ainsi, un bruit court et soudain peut s’avérer moins dérangeant qu’un bruit constant et prolongé. Des aspects culturels mais également individuels achèvent de nuancer notre perception du son. Le seuil de tolérance au bruit de chacun et chacune varie en fonction de son état émotionnel, de son humeur ou de son niveau de fatigue.

À noter par ailleurs que notre sensibilité au bruit dépend des autres activités exercées. Les pensionnaires d’une maison de retraite aspirent à un environnement calme alors que les personnes qui travaillent dans une industrie bruyante seront moins dérangées par des activités produisant également du bruit. C’est dans cette optique que la loi suisse définit des zones dont le degré de sensibilité varie en fonction des activités qui y sont pratiquées (de la détente à l’industrie), avec des seuils différents entre le jour et la nuit.

 

Le bruit des autres

Le désagrément ressenti par la personne exposée au bruit est nourri par son impuissance à le maîtriser. Un son subi devient aisément une nuisance. «Le bruit, c’est les autres», écrivait l’auteur allemand Kurt Tucholsky, soulignant une fois de plus la dimension sociale.

Derrière les murs des immeubles et des maisons, les émissions sonores sont souvent à l’origine des conflits de voisinage. En traversant les murs, «le bruit remet en cause la frontière entre la sphère privée et l’espace public ou tout du moins révèle sa porosité», note Anthony Pecqueux. Dans la rue aussi, le bruit est enjeu de cohabitation. Le partage de l’espace est souvent abordé sous le prisme du territoire, en interrogeant par exemple la répartition de la surface entre les usagères et usagers de différents moyens de transport. Pourtant, l’espace sonore est aussi un «territoire» à répartir entre les personnes qui s’y trouvent. Une simple illustration des divergences qui en résultent est la pratique consistant à écouter de la musique sans casque dans les transports publics.

Alors: son, bruit, nuisance? La classification d’un son diverge en fonction de sa source, du moment, de l’endroit et du contexte dans lequel il est produit.

    

Les sons qui nous entourent forment une toile invisible, une texture complexe qui colore notre quotidien de nuances – certaines plus agréables que d’autres.

    

Faire taire le trafic…

Klaxon, aboiement d’un chien, coup de freinage, marteau-piqueur: les bruits qui constituent le tapis sonore de notre quotidien sont souvent considérés comme les ingrédients d’une ambiance stressante et désagréable. Depuis la révolution industrielle, les sources sonores qui emplissent l’espace urbain se sont multipliées et parfois amplifiées. Pour autant, la ville du passé n’était pas silencieuse. Le clappement des sabots des chevaux a été remplacé par le vrombissement des moteurs, la voix du crieur public ou des vendeurs ambulants par les klaxons.

Aujourd’hui, la circulation routière constitue de loin la première source de nuisances sonores. La Confédération estime qu’un million de personnes subissent pendant la journée ou la nuit un bruit issu du trafic routier supérieur aux normes légales. Les graves conséquences observées sur la santé des habitantes et habitants de quartiers bruyants exigent des mesures radicales visant la source du problème – limitation de la vitesse, restriction de circulation à certains horaires, etc – comme souligné en pages 20 et 21 de ce dossier.

… mais pas trop
«Il n’y aura bientôt plus un endroit en Suisse qui ne soit affecté par les bruits de la civilisation», déplorait Beat Marty en 1997 déjà, dans la première publication du Cercle Bruit Suisse, association qu’il présidait alors. Pour autant, la représentation dichotomique et simpliste voulant opposer le bien – le silence – et le mal – le bruit – mérite quelque nuance.

Le bruit de la circulation routière est socialement considéré comme une nuisance, et sa perception négative est souvent renforcée par d’autres facteurs tels que les odeurs ou la pollution atmosphérique. Parmi d’autres arguments, les véhicules électriques se profilent comme alternative pour une mobilité plus discrète, et les habitantes et habitants des centres urbains bruyants voient se profiler des nuits plus calmes. Mais voici que le silence (relatif) de ces véhicules est pointé du doigt pour des questions sécuritaires. 

L’automobiliste a toujours automatiquement signalé son arrivée par le bruit de son véhicule. Ce silence nouveau surprend les autres usagères et usagers de la route, si bien que les constructeurs automobiles travaillent actuellement à de nouvelles solutions sonores pour ces véhicules. «Le même problème de ‹silence potentiellement dangereux› se pose déjà, quoique dans une moindre mesure, avec les cyclistes», rappelle Anthony Pecqueux.

Il semble en conclusion que l’appréciation du caractère dérangeant reste affaire de bon sens. Plutôt que d’une ville silencieuse utopique, on rêve à des rues pacifiées. Car les sons que nous produisons, avant de provoquer la gêne, permettent de signaler sa présence, de communiquer et finalement participent à une «bonne entente» collective.

    

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