Paysage ferroviaire: quo vadis?

Selim Egloff

L’Office fédéral des transports, les CFF et le Conseil fédéral ne cessent de se contredire entre ambitions et possibilités. Ou pourquoi la politique ferroviaire en Suisse se retrouve dépourvue de toute planification.

Au début de l’été, l’Office fédéral des transports (OFT) a déclenché un tollé en présentant son concept d’offre 2035. Parmi les nombreux points qui ont suscité de fortes critiques, citons l’allongement des temps de parcours pour le trafic grandes lignes, de moins bonnes correspondances aux grands noeuds ferroviaires et moins de liaisons directes avec l’étranger.

Outre ces détériorations évidentes, une curiosité a fait parler d’elle: la fusion annoncée des liaisons entre Genève et Saint-Gall puis Zurich et Munich (voire Vienne). Pour assurer une liaison directe entre la Suisse romande et la Bavière, un train pendulaire à deux étages aurait toutefois été nécessaire. Or un tel train n‘est pas pour demain. C’est la raison pour laquelle le directeur de l’OFT, Peter Füglistaler, n’a pas tardé à faire rapidement marche arrière, invalidant publiquement l’idée avancée.

Poule aux oeufs d’or à deux étages

Le fiasco de la nouvelle offre 2035 révèle à quel point l’OFT a misé sur une poule aux oeufs d’or, celle du train pendulaire à deux étages – mais sans disposer de la preuve du bon fonctionnement de ce dernier. Les espoirs de la politique ferroviaire suisse ont (trop) longtemps reposé sur la compensation du roulis, une technique pendulaire qui aurait dû permettre aux trains même à deux étages de prendre les virages rapidement. L’an dernier, les CFF ont fini par interrompre les essais menés avec les nouveaux duplex destinés au trafic grandes lignes (TGL) car cette nouvelle technique prétéritait le confort de conduite.

Ce qui signifie que la réduction des temps de trajet pour augmenter les capacités passera forcément par des aménagements coûteux. La compensation du roulis devait permettre de réaliser des durées de parcours inférieures à 60 minutes pour les lignes Winterthour – Saint-Gall et Berne – Lausanne. De nouvelles lignes devront désormais être construites pour réaliser des noeuds ferroviaires complets à Genève, Lausanne et Saint-Gall avec un maximum de correspondances.

Noir tableau

Les attentes placées dans les duplex zrandes lignes ont apparemment été si élevées que même le remplacement des compositions ICN actuelles par de nouveaux trains pendulaires à un étage a été remis en question. Celles-ci manquent en effet dans le concept d’offre 2035, ce qui allongerait considérablement les temps de parcours et favoriserait les ruptures de correspondance, notamment sur la ligne du pied du Jura.

Les gros titres critiquant la planification de l’offre de l’OFT ont coïncidé à peu de choses près avec l’annonce des CFF de réduire drastiquement l’offre en Suisse romande pendant dix ans, à partir de 2025. Ceci dans le but de pouvoir réaliser les chantiers nécessaires. Car l’infrastructure y est particulièrement vétuste et doit être remise en état de toute urgence.

Les retards accumulés depuis des années dans des projets déjà décidés complètent le tableau. Il s’agit par exemple de la transformation de la gare de Lausanne ou des adaptations de l’infrastructure à Zofingue. Au lieu de 2025, ce dernier projet ne sera réalisable qu’une bonne dizaine d’années plus tard.

Bons objectifs, mauvaise réalisation

Tout cela va à l’encontre des objectifs que le Conseil fédéral a fixés dans sa «Perspective Rail 2050». Le traitement du projet du Conseil fédéral devrait être entamé au Parlement lors de la prochaine session d’hiver. C’est peu dire qu’il suscite des espoirs. Il s’agirait notamment de doubler la part des voyageur·ses par kilomètre en train dans la mobilité globale. De plus, de nouvelles lignes doivent être construites là où le train n’est pas encore compétitif par rapport à la voiture.

En parallèle, le chef du DETEC ne se lasse visiblement pas de favoriser également l’extension des autoroutes. Sous prétexte d’«égalité des usagères et usagers de la route», tous les efforts visant à modifier la répartition modale en faveur du rail sont ainsi anéantis.

Au lieu de suivre une stratégie claire permettant de prendre le virage indispensable au respect des objectifs climatiques, voilà que le clientélisme s’impose. En faveur du lobby automobile, en l’occurrence et pour ce qui concerne le conseiller fédéral Albert Rösti. Les ressources financières et humaines – loin d’être illimitées – ne doivent en aucun cas être investies dans les autoroutes plutôt que dans une infrastructure ferroviaire.

Mettre fin à l’aveuglement

La mise en place d’aménagements favorables au trafic ferroviaire sera difficile au Parlement. En l’absence d’une stratégie nationale porteuse d’une offre ferroviaire d’avenir, la tentation est grande de céder à des marchandages de politique régionale au lieu de chercher des solutions constructives pour toute la collectivité.

Il est urgent de mettre fin à l’aveuglement en matière de développement ferroviaire. Au lieu d’occuper des spécialistes à planifier de nouveaux tunnels autoroutiers et des autoroutes à six voies, la «Perspective Rail 2050» devrait le plus vite possible devenir un «Développement Rail 2050» concret.

    

«Il faut un concept d’horaire»

La Communauté d’intérêts pour les transports publics (CITraP) défend les besoins des usagères et usagers des transports publics. Sa présidente, Florence Brenzikofer, s’exprime sur les principaux défis et les projets les plus urgents.

Florence Brenzikofer, du point de vue de la CITraP, où est-ce que cela coince – et pourquoi?

Premièrement, la demande en transports publics stagne depuis 2010 malgré de gros investissements. C’est là que la Confédération devrait intervenir et réfléchir à ce qui ne va pas dans sa planification. Deuxièmement, l’entretien et l’assainissement de l’infrastructure ferroviaire ont été négligés par l’Office fédéral des transports (OFT) et les CFF depuis les années 1990. Troisièmement, on a placé trop d’espoir dans les nouvelles technologies ferroviaires et on a abandonné d’importants projets d’infrastructure visant à réduire les temps de trajet, en Suisse orientale et occidentale.

De nombreux projets de construction ont pris des années de retard. À quoi est-ce dû et comment les accélérer?

La conception de l’horaire à long terme – à l’horizon 2050 – doit être revue et l’OFT doit absolument faire appel au savoirfaire des CFF. De plus, les procédures d’autorisation des grands projets doivent être mieux coordonnées afin d’éviter un nouveau naufrage comme celui de la transformation de la gare de Lausanne.

Que faire contre la pénurie de personnel qualifié?

Le rail a besoin d’une politique de ressources humaines crédible et durable, qui évite par exemple les heures supplémentaires récurrentes et les interventions imprévues des conducteurs et conductrices de train. Il faut également une stratégie qui garantisse un emploi sûr, offre des perspectives de développement et soit attractive pour les jeunes parents.

Selon la CITraP, quels sont les projets d’extension les plus urgents?

Il faut revenir aux qualités qui ont conduit au succès de Rail 2000 et des NLFA. Il s’agit d’élaborer tout concept d’horaire sur la base des besoins en transport réels de la population. Il sera alors possible de répondre à la question de savoir où de nouvelles infrastructures sont nécessaires. Dans des cas ponctuels, cela peut impliquer la construction de nouveaux tronçons entre des grands centres.

Que pensez-vous de l’égalité des droits des usagères et usagers de la route évoquée par des politiciens bourgeois?

La Suisse s’est fixé pour objectif d’atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050. Dans cette optique, le peuple vient d’adopter la loi sur la protection du climat. Nous ne pourrons atteindre cet objectif que si nous transférons à grande échelle le trafic de la route au rail. Le trafic routier motorisé est le plus grand coupable. Sous l’influence du lobby automobile, le Parlement a malheureusement approuvé des milliards pour l’extension des autoroutes. Le slogan de l’égalité des droits sert à masquer le fait que l’objectif de protection du climat n’est pas pris en compte.

    

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