#Vélo

«Pour que les jeunes se réapproprient le vélo, il faut montrer sa diversité»

Camille Marion– Magazine ATE 4/23

Qu’est-ce qui pousse les adolescentes et adolescents à laisser le vélo au garage et à grimper dans un bus? Qu’est-ce qui au contraire leur donne envie de pédaler pour se rendre en cours ou lors des loisirs? Entretien avec Aurélie Schmassmann, co-autrice d’une étude académique menée auprès de jeunes d’Yverdon-les-Bains (VD).

  

Aurélie Schmassmann, pourquoi étudier l’évolution de la pratique du vélo chez les jeunes en particulier?

Plus les habitudes sont prises tôt, plus elles durent dans le temps. L’adolescence est un âge clé dans les choix de mobilité. On essaie d’éviter la trajectoire qui passe directement du bus au deux-roues motorisé et à la voiture en présentant le vélo comme alternative. L’objectif est donc d’encourager sa pratique utilitaire le plus tôt possible.

  

Dans ce cas, pourquoi ne pas cibler les enfants?

Beaucoup d’études sont consacrées aux enfants alors qu’on néglige souvent les (pré-) adolescent·es. Les choix de mobilité des enfants sont très dépendants des comportements des parents alors qu’à l’adolescence, de nouveaux enjeux apparaissent pour les jeunes, qui connaissent généralement un éloignement du domicile avec le changement d’école. En grandissant, la palette de mobilité disponible s’élargit, même si l’influence des parents reste importante.

  

Votre étude porte justement sur l’influence du cercle social sur la pratique du vélo. Qu’avez-vous constaté?

J’ai axé mon travail sur le rôle de la famille mais également sur ce qui se passe à l’école et dans les groupes de pairs. On note une influence très marquée des parents: lorsqu’au moins l’un des deux pratique le vélo, leurs enfants sont bien davantage susceptibles d’en faire de même. On constate également une continuité dans le type de pratique. Le choix de recourir au vélo pour les déplacements ou pour le loisirs dépend de l’usage qu’en font les parents.

  

Aurélie Schmassmann

Aurélie Schmassmann est assistante-doctorante à l’Université de Lausanne. Dans le cadre de sa thèse, elle étudie la pratique du vélo chez les jeunes et vient de publier «The contrasted evolution of cycling during youth. Determinants of bicycle ownership and use» avec Daniel Baehler et Patrick Rérat. Cette étude a été menée auprès de jeunes entre 12 et 20 ans à Yverdon-les-Bains. Aurélie Schmassmann fait partie de l’Observatoire Universitaire du Vélo et des Mobilités Actives (OUVEMA), rattaché à l’UNIL. Créé en 2020 par Patrick Rérat, professeur de géographie et d’urbanisme, et Bengt Kayser, médecin et directeur de l’Institut des sciences du sport, l’OUVEMA fait le lien entre la recherche académique et la pratique, collaborant aussi bien avec d’autres instituts universitaires qu’avec les offices fédéraux, les communes ou les bureaux d’étude.
Informations : www.unil.ch/ouvema

  

Peut-on en conclure qu’il faut convaincre les parents pour agir sur les jeunes?

C’est une piste intéressante. Certes, les comportements des parents inspirent ceux de leurs enfants mais on observe également l’inverse. Les jeunes apportent à la maison ce qui leur est enseigné en cours, notamment en matière de comportements écoresponsables. Dans le cadre de cette étude, j’ai aussi interrogé quelques parents et constaté que certains se remettent au vélo à l’arrivée des enfants. Les influences fonctionnent donc réciproquement.

  

L’adolescence est aussi une période où l’on cherche parfois à s’opposer aux attentes parentales et à valoriser les amitiés. Cela se traduit-il dans la pratique du vélo?

Les jeunes peuvent chercher à s’affranchir des habitudes familiales et se tourner vers d’autres options de mobilité. Mais bien davantage qu’un esprit de contradiction vis-àvis des parents, cette décision est motivée par l’envie de se rendre à l’école ou au gymnase avec ses ami·es. Les jeunes privilégieront les transports publics si cela leur permet de passer du temps en groupe. L’aspect social est déterminant, y compris dans la pratique du vélo: dans les témoignages, nombre de jeunes attachent de l’importance à la possibilité de pédaler côte à côte – quitte à faire des détours par des itinéraires qui le permettent.

  

Observe-t-on une différence dans la pratique du vélo entre la ville et la campagne?

La distance est un facteur décisif et dans les contextes ruraux, elle est bien plus importante qu’en ville. Il faut absolument travailler sur le lien entre les localités en proposant des itinéraires directs, sécurisés, connectés, confortables et attractifs. On se retrouve souvent à devoir faire des détours à vélo alors que la route est directe pour les voitures. Par notre étude, nous avons constaté que la distance peut freiner la pratique du vélo dans les deux sens: lorsqu’elle est courte, la marche est plus intéressante alors que lorsqu’elle est plus longue, les transports publics s’imposent. Pour les jeunes comme les autres, beaucoup de trajets se prêteraient pourtant parfaitement au vélo puisque 60 % de nos déplacements font moins de 5 kilomètres.

  

Comment encourager les jeunes à (re)faire du vélo?

Il faut renforcer la visibilité du vélo de manière générale, et surtout comme moyen de déplacement. Aujourd’hui, on montre aux jeunes qu’il est normal de faire son permis de conduire à 18 ans et de se déplacer en voiture. Nous devons en faire de même pour le vélo, en montrant qu’il a sa place sur la route.

  

Concrètement, sur quels leviers devraiton agir?

Il y a un véritable enjeu d’image. Les jeunes ont une représentation positive du vélo sportif ou de loisir mais peinent à le considérer comme moyen de transports. Il reste parfois même associé à un jeu d’enfant. Pour que les jeunes se réapproprient le vélo, il faut montrer sa diversité. Entre les cyclistes du dimanche qui font une balade au bord du lac et les sportifs et sportives en tenue complète, il y a un vaste éventail de pratiques: les parents qui amènent leurs enfants à la crèche, les pendulaires en tenue de ville, les étudiant·es, les personnes qui vont faire leurs courses … Il y a autant de cyclistes que de types de vélos.

  

À qui revient la responsabilité de promouvoir le vélo auprès des jeunes?

On ne peut pas tout demander aux parents. L’école a aussi un rôle énorme à jouer en matière de sensibilisation. Ce travail est très bien mené mais avant tout auprès des enfants. Pourtant, un rappel de l’importance de la pratique du vélo serait le bienvenu à l’adolescence, avec des exercices pratiques en contexte réel.

  

Les jeunes peuvent chercher à s’affranchir des habitudes familiales et se tourner vers d’autres options de mobilité.

  

Il existe pourtant des campagnes spécifiques comme «Défi vélo» ou «Bike2school».

Ce sont d’excellentes initiatives, mais qui reposent sur la volonté des enseignantes et enseignants. Or, leur cahier des charges est déjà bien remplis. Je serais favorable à une généralisation de ces campagnes dans toute les écoles. Pourquoi ne pas en faire un événement annuel standard dans le parcours des élèves? On pourrait également imaginer des semaines thématiques consacrées aux vélo, avec des cours à ce sujet, des ateliers tant de pratiques que de réparation, des conférences, des films … À ce sujet, la Suisse alémanique est bien plus avancée que la Romandie. Par ailleurs, la promotion du vélo pour se rendre à l’école ou au gymnase va au-delà de l’enseignement. On constate des lacunes dans les infrastructures des établissements scolaires. Stationnement, casiers, douches ne sont pas toujours à dispositions des élèves qui souhaiteraient venir à vélo et qui préfèrent donc y renoncer. Par ailleurs, dans l’exemple d’Yverdon-les-Bains, l’accès au gymnase à vélo n’est pas sécurisé puisque la piste cyclable s’arrête quelques centaines de mètres avant le bâtiment.

  

Ce dernier point est du ressort des autorités. Peuvent-elles en faire davantage pour que les jeunes optent pour le vélo?

Bien sûr, la priorité réside dans le développement des infrastructures cyclables. Le vélo doit être encouragé comme moyen de transport du quotidien. Pour les trajets jusqu’au gymnase ou aux écoles professionnelles, les autorités misent avant tout sur les transports publics alors que le vélo permettrait de décharger les bus aux heures-clé. Par ailleurs, les villes subventionnent souvent les abonnements de transports publics, notamment pour les jeunes. Pourquoi ne pas en faire de même pour l’achat d’un vélo?

  

Vous avez évoqué l’influence de la famille et des groupes de pairs, le rôle de l’école, l’importance des infrastructures. Avez-vous identifié d’autres facteurs à prendre en compte?

Pour les jeunes, la nature est très importante. Dans leur pratique du vélo, les adolescentes et adolescents valorisent énormément la qualité de leur environnement, cherchant à s’éloigner de la ville et du trafic pour trouver des espaces naturels. Cet élément me semble très important lorsque l’on parle de choix de mobilité, chez les adultes aussi. On a souvent tendance à percevoir négativement les trajets utilitaires, considérant que l’on perd du temps en se déplaçant. Pour revaloriser ces moments, il est primordial de travailler sur l’attractivité des itinéraires pour faire de nos trajets des opportunités de s’émerveiller.

  

Article issu du Magazine ATE 4/2023


Camille Marion, Rédactrice Magazine ATE / Responsable réseaux sociaux

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