«Ah, c’est un joli coin»

La petite ville de Saint-Hippolyte recèle des histoires inattendues comme celle de la roche de tuf.

De Haute-Ajoie à Saint-Hippolyte, des sentiers solitaires chargés d’histoire sillonnent les paysages enchanteurs du Jura. La cité médiévale au confluent du Doubs et du Dessoubre est le pendant français de Saint-Ursanne.

Que le canton de Berne était grand autrefois! songeons-nous sans nostalgie durant les trois quarts d’heure en car postal qui séparent Porrentruy de Damvant, village le plus occidental de l’ancien «pays de Porrentruy». Jadis Elsgau, la région s’appelle aujourd’hui l’Ajoie, et ses habitants les Ajoulots. Le charme des zones frontalières est aussi linguistique.

Damvant est surtout connu pour ses champs de narcisses et les vitraux de l’artiste bruntrutain Angi. Rattachée au restaurant de la Poste – spécialité: la friture de carpe –, une épicerie permet de compléter ses provisions. Au moment de partir, un vieil homme à la table d’à côté s’enquiert de notre destination. «Ah, c’est un joli coin, ça», acquiesce-t-il avant de nous souhaiter une bonne promenade. Cherchant le chemin le plus court possible, nous longeons directement la rue principale sur un kilomètre en vue d’atteindre la frontière.

Quelques kilomètres en direction de Nice

Le bâtiment des douanes suisses est à vendre, et il n’y a pas un uniforme à l’horizon. C’est ça, Schengen. Le chemin de randonnée promis par la carte nationale (Clos du Doubs, 1/50 000) reste lui aussi introuvable. Nous suivons donc la route de Villars-lès-Blamont plutôt que la frontière vers le sud. Les pylônes en jalonnent le tracé. Bien que similaires, les villages côté français présentent des différences subtiles indéniables. Seules les constructions récentes témoignent d’une platitude architecturale partagée.

Sur la place du village, où des enfants prennent d’assaut un bus scolaire, nous apercevons la première d’une série de balises blanches et rouges qui relient la mer du Nord à Nice: à nous la GR5, qui dépasse au total les 2000 kilomètres! L’itinéraire nous conduit par le Bois Courbot vers le fort du Lomont. Parsemé de fleurs printanières colorées, le vert des sapins et des hêtres contraste avec la clarté calcaire du Jura tabulaire.

Nous croisons çà et là des sentiers plus régionaux. Le balisage impeccable, jaune-rouge, jaune-bleu, ou marqué du signe «Transdoubs», comprend un service spécial à la française: deux barres de couleur croisées signalent aux randonneurs qu’ils se trompent de chemin.

Ernest Ryser, fromager et passeur

La région est trop sauvage pour qu’on ait pu entièrement contrôler la frontière. La présence séculaire de contrebandiers dans la région fait d’ailleurs l’objet d’un projet franco- suisse de tourisme à pied ou  à vélo (www.lescheminsdelacontrebande.com). Nous ne l’avons pas testé, mais l’idée semble bonne pour ceux qui aiment s’amuser en alliant sport, découvertes et culture.

Après la capitulation de la France en 1940, ces chemins ont permis de sauver des vies. L’église de Chamesol commémore sur une plaque les familles venues en aide aux réfugiés dans la région, qui leur ont donné un abri ou de la nourriture, ou qui ont guidé les familles juives, les résistants et les soldats alliés jusqu’au territoire helvétique. Elle met particulièrement en avant le rôle d’un émigré suisse alémanique: Ernest Ryser, fromager à Chamesol. En plus d’avoir aidé 200 personnes à fuir, il a espionné   les officiers de la Wehrmacht qui, installés à Saint-Hippolyte, se délectaient de son fromage.

En septembre 1944, Chamesol a échappé de justesse à la destruction par des chars allemands qui battaient en retraite. Aujourd’hui, il a tout d’un village endormi de province française, quoiqu’il dispose – surprise! – d’un restaurant gastronomique.

Une petite ville, deux grandes rivières

Nous longeons brièvement la route (la GR5 est malheureusement goudronnée autour de Chamesol) avant de traverser un terrain herbeux, puis le bois menant à Chapelle du Mont, lieu de pèlerinage, et de rejoindre par des chemins sinueux le cimetière, puis la cité, de Saint-Hippolyte. Pour l’hébergement, deux options: Le Bellevue, pour la salle à manger Louis XIV et le petit-déjeuner royal; Les Terrasses, pour l’emplacement. Notre conseil gastronomique: Le Saint Hippolyte, chez Mme Guenot.

L’église collégiale de 1303 a survécu aux incendies, à la Réforme, à la contre-réforme et à la Révolution française de 1789. De 1418 à 1452, elle a même accueilli le suaire de Turin. L’élément dominant de ce  paysage est le couvent des Ursulines, qui remonte à l’an 1700. Sécularisé en 1789, il profite aujourd’hui principalement à l’éducation. Les deux rivières sont bien plus anciennes. Le Dessoubre est si vif qu’il semble pressé d’apporter à un Doubs malade une cure de jouvence nécessaire. Pro Natura  s’efforce résolument de sauver ce qui pourrait encore l’être, à commencer par le Roi du Doubs, une espèce qu’on ne trouve qu’ici.

Boulangerie, boucherie, kebab et même salon de tatouage: il y a de la vie à Saint-Hippolyte. À l’office du tourisme, une brochure vient idéalement compléter les cartes en proposant plus de 20 circuits de  randonnée, dont six au départ de la cité.

Les aïeux de grand-maman

Le brouillard matinal s’est dissipé. Nous traversons le pont et prenons à droite, vers la gare. De 1886 à 1938, des trains en partaient pour Montbéliard, avant de cesser par la suite le transport de passagers. À gauche derrière la gare, nous retrouvons la GR5 au départ d’une petite place. Nous la gravissons alors sur une pente douce et régulière, à l’ombre de jeunes hêtres ramifiés. Les pervenches germent, la nature s’éveille. Nous apercevons bientôt une roche de tuf qui ne  nous paraît pas tout à fait naturelle. L’eau qui jaillit en contre-haut prend sa source dans la forêt et alimente un petit ruisseau auquel aucun enfant ne saurait résister.

Deux bambins s’y amusent avec des canards en plastique, sous l’œil de leur grand-mère. Celle-ci nous explique que sa famille s’emploie à maintenir la propreté de ce terrain privé. Nous la remercions pour  le droit de passage et demandons plus d’informations sur le tuf. À sa réponse, nos yeux s’écarquillent: il était exploité par les arrière-grands-parents de Madame, qui l’amenaient jusqu’à la gare dans des petits wagons montés sur voie ferrée. De là, il poursuivait ensuite son voyage.

Fluctuations idylliques

Nous quittons la GR5 pour une route aux balises jaune-rouge passant sous la «Grosse Roche». La vue sur Saint-Hippolyte y est somptueuse. Impossible d’éviter le kilomètre de route asphaltée qui sépare  les Côtes des Sapois. Un sentier plutôt rude conduit au plateau de Chamesol; un autre, plus agréable, suit une longue crête jusqu’à Combe Semont.

Les bornes reparaissent bientôt, conservées au titre de patrimoine culturel. Depuis la veille, notre regard a changé sur ces jalons qui servaient parfois de repère aux fugitifs. Nous ne pouvons que sou rire en voyant sur l’un d’eux le «Mutz» bernois qui, gravé en 1817, a assuré jusqu’en 1979 sa fonction  symbolique de garde-frontière.

Que de couleurs! Les tapis d’orchis donnent au bois une allure de conte de fée. Notre chemin commence alors ses fluctuations: brève descente dans la combe, remontée raide, virage serré à droite vers le «Circuit des fermes», descente par un pré jusqu’à une grange et traversée étroite de la clôture au pré suivant. Il nous mène ensuite au creux d’une vallée aux roches escarpées, emplie du parfum de l’ail des ours. Au bout du sentier, la descente vers Montjoie-le-Château et Vaufrey nous tente.

Nous renonçons à la boucle supplémentaire (une bonne heure de plus) et filons vers les Grottes de Réclère. C’est trempés de sueur que nous atteignons les hauteurs confortables de la crête. La palissade du Préhisto-Parc nous laisse entrevoir les dinosaures et autres créatures préhistoriques grandeur nature qui peuplent la forêt. Le parc complète les excursions familiales par une visite de la grotte à la plus grande stalagmite de Suisse.

Nous nous épargnons la demi-heure de retour jusqu’à Damvant: voici le car qui ramène dans l’après- midi les promeneurs à Porrentruy. Et il serait dommage de ne pas passer deux ou trois heures au  moins à visiter sa vieille ville.

Informations pratiques

Durée de randonnée pour les itinéraires décrits: Damvant–Saint-Hippolyte 3 h.; Saint-Hippolyte–Grottes de Réclère min. 4 h. – Possibilité d’hébergement à la Grotte (hôtel, yourte, camping) www.randonnee.pays-horloger.com

TP: alors qu’on atteint rapidement l’Ajoie depuis Bienne ou Bâle, Saint-Hippolyte est assez à l’écart des TP: ligne de bus 206 (Pontarlier–)Morteau–Montbéliard. Morteau est situé sur la ligne du train La Chaux-de-Fonds–Besançon; jusqu’à Montbéliard à partir de Bâle avec changement de train à Mulhouse et Belfort.

www.viamobigo.com

www.ville-saint-hippolyte.fr

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