Disentis vaut le déplacement! Depuis le Plateau, on longe le lac de Zurich, puis on traverse le décor du lac de Walenstadt et de la Seigneurie grisonne. Le parcours du train à travers les gorges du Rhin entre Reichenau et Ilanz est extraordinaire, surtout quand neige et glace ornent les étranges formations rocheuses, quand les îlots et les arbres du fleuve portent d’épaisses calottes blanches et que la couleur de l’eau n’a rien à envier aux lagons des Caraïbes. Cela dit, en rejoignant Disentis par Andermatt, on vit aussi une expédition ferroviaire de premier ordre avec le col de l’Oberalp.
Nous pensions combiner notre escapade de fin de semaine à l’hôtel avec un test du Bus des neiges qui dessert les hauts plateaux au sud du Lukmanier, mais rien à faire: comme les jours précédents, la route du col est restée fermée en raison du danger d’avalanche. Qu’importe, nous avons commencé par visiter l’impressionnant monastère de Disentis et chercher des coins sympathiques, dont la quantité s’est avérée appréciable. Notons que l’introduction du 30 kilomètres à l’heure a nettement amélioré la qualité de vie au centre du village.
Chemin faisant, nous nous sommes renseignés auprès de l’office du tourisme sur les sentiers de randonnée hivernale et les parcours en raquettes dignes d’intérêt. Malgré l’offre abondante, notre choix s’est rapidement porté sur le Bostg (le s se prononce sch et la fin quelque chose comme dsch), qui signifie «forêt» en romanche. Cette grande colline boisée, nous l’avons admirée depuis notre fenêtre alors qu’elle avalait le soleil couchant. Cela valait bien l’effort à venir.
Bostg, une montagne de myrtilles
Le sommet du Bostg n’atteint pas 2000 mètres d’altitude, mais sa vue sur les montagnes environnantes est imprenable.
Arête de neige pour novices
Pour se rendre au pied du Piz Plaun Grond, comme on l’appelle également, on prend soit le train jusqu’à Segnas ou Mumpé Tujetsch (avec une petite grimpée entre la gare et le village), soit le bus local jusqu’à Acletta. Ou alors on marche depuis Disentis, sur le beau et facile sentier de randonnée hivernale qui va à Sedrun en passant par tous les endroits précités, et qui est aussi un sentier planétaire. Mieux vaut commencer l’ascension à Mumpé Tujetsch, en raison d’une situation quelque peu confuse à Segnas. Son centre est bien joli, mais une piste de ski se trouve sur le chemin... ou plutôt l’inverse, ainsi que nous avons fini par le comprendre. Dans tous les cas, la trace monte rapidement et s’incurve bientôt en douceur à travers la forêt enchantée par l’hiver. Les deux itinéraires se rejoignent à Run Cunel. Juste après, on atteint l’alpage Prau Sura, sur le flanc sud du Bostg, où il serait dommage de ne pas faire une pause: le massif du Medel offre un spectacle grandiose.
Hormis le court tronçon assez raide qui suit, pas de quoi s’essouffler. En l’absence de grosse chute de neige depuis un bon moment, l’itinéraire bien balisé était aussi bien visible, ce qui le rendait facilement praticable même sans raquettes. On peut laisser sans autre son équipement d’avalanche à la maison. Une fois hors de la forêt, la dernière montée vers le sommet ressemble à la Biancograt, célèbre arête de neige. Mais ici le parcours est inoffensif: les personnes qui ont tracé la voie l’ont fait avec habileté, probablement le long du sentier de randonnée.
Petit sommet, vue grandiose
Une fois tout en haut, la vue a de quoi subjuguer et vaut quelques arrêts sur image. Certes, le Bostg ne dépasse pas 1995 mètres, mais il est posé idéalement au centre de la couronne des Alpes qui cerne Sedrun et Disentis; il permet aussi d’admirer toute la région de Surselva. Deux heures de randonnée suffisent pour atteindre le sommet et y savourer une nature inaltérée, non loin des grands manèges de ski.
Nous aurions aimé descendre vers Sedrun ou par le versant sud du Bostg, très apprécié des vététistes pendant la belle saison. Hélas, la première variante aurait été périlleuse, vu la pente, et la seconde traverse une zone de tranquillité pour la faune (ici appelée «zona da ruaus per uaul e selvaschina»).
Alors nous avons rebroussé chemin. Du déjà-vu? Absolument pas, tant les perspectives étaient différentes. Nous avons coupé quelques virages et fait plus ou moins notre trace dans la neige de la ligne de pente, pataugeant, dérapant et glissant presque, aux meilleurs moments. Une sensation certes pas comparable à celle de flotter sur la poudreuse avec des skis, mais qui nous a donné des ailes.
Collation à discrétion
Six mois plus tard, nous voilà déjà de retour au sommet, après une grimpette depuis Sedrun sur un sentier aussi escarpé que magnifique. Le début de l’automne est une période propice à cette excursion. Les larges flancs de la croupe de montagne, qui s’étend côté sud du Rhin antérieur en face du Piz Pazzola, sont couverts de buissons de myrtilles. Occasionnelles au début, nos pauses deviennent de plus en plus fréquentes au fur et à mesure que la forêt perd en densité. Des airelles rejoignent les myrtilles.
Le «plateau sommital» sans arbre du Bostg est bien plus vallonné que dans nos souvenirs de février. Ce que l’épais manteau de neige dissimulait nous incite à ajouter un couplet à notre chant de louange. La végétation abondante et colorée se compose principalement de buissons de myrtilles, de rhododendrons des Alpes et de bruyères, en pleine floraison violet pâle en ce mois de septembre. Superbe! Deux hirondelles dansent autour de fleurs automnales d’un jaune lumineux. À l’orée de la forêt, une femme fait sa cueillette. Le silence n’est troublé que par l’aboiement de son chien.
Urs Geiser est rédacteur pour les pages «Voyages». Il a fini par franchir le col du Lukmanier avec le tout dernier Bus des neiges en avril, comme il prévoyait de le faire pour son récit d’excursion.