«Voyager avec ménagement»

«La vraie grandeur de l’île se révèle en l’explorant à pied.» Cette photographie de la baie de Cavoli ouvrait un reportage sur l’île d’Elbe.

L’organe de l’ATE est aussi, depuis longtemps, un magazine de loisirs. Du niveau de la mer jusqu’à 4153 mètres d’altitude pour saluer le Bishorn, rédactrices et rédacteurs ont voyagé tous azimuts afin de présenter des excursions et circuits à faible impact. Sur l’environnement, pas sur les souve-nirs!

Il est toujours là, même si son logo a changé. Dans le numéro 1/2003 de Leonardo – le nom du Magazine ATE à l’époque – on pouvait voir la borne de secours de l’ACS à l’entrée du val Onsernone. Elle illustrait la toute première «randonnée» de l’ATE, qui emmenait lectrices et lecteurs chercher le soleil au sud, de l’arrêt de car postal Cratolo jusqu’à Cavigliano, en passant par l’alpage de Vii.

Nous y sommes récemment retournés, ironisant encore une fois sur le fait que même les icônes automobiles finissent par déchoir. Le reste correspondait à nos meilleurs souvenirs. Les chamois – descendants de ceux de jadis? – se trouvaient toujours là. De nouveaux sentiers de liaisons rendent encore plus variées les randonnées sur les pentes du Salmone (1559 mètres).

Si le parc national du Locarnese avait vu le jour, nous aurions foulé son sol. Nos sensations auraient été les mêmes, mais impossible d’oublier l’échec de ce projet moteur en matière de protection de la nature et de tourisme, pour une pincée de voix (2,54 %). Une certaine étroitesse d’esprit montagnarde avait déjà eu raison du projet de parc national Adula entre Grisons et Tessin. Le Magazine ATE, où l’on s’intéresse aux parcs naturels suisses, avait suivi leur évolution.

La nouvelle rubrique reçoit bon accueil

Les voyages font davantage qu’instruire: ils changent aussi le monde, même si ce n’est pas toujours en bien. Ils trouvaient déjà place dans la publication de l’ATE avant que les propositions d’excursions y deviennent un rendez-vous régulier, dans la rubrique culture ou dans un récit consacré à un nouveau réseau de pistes cyclables en Grande-Bretagne. On mettait bien sûr en avant les offres «maison» de via verde. Un dossier à la légèreté tout estivale a aussi incité à voyager sur les scènes de la littérature criminelle, via des critiques de livres.

La nouvelle rubrique a régulièrement reçu des éloges et des demandes de précisions. Les propositions d’excursions ont eu un grand retentissement, quand elles se sont aventurées pour la première fois à vélo dans la Franche-Comté et à pied sur la frontière entre la France et l’Italie, près de la mer, dans  la vallée de la Roya. Bien sûr, il nous arrive de nous égarer, ce qui n’échappe jamais à nos lectrices et lecteurs. Par exemple pour nous rappeler que le lys martagon n’est pas une orchidée, ou que l’on ne parle pas de la Dent, mais des Dents de Morcles. Justifiées ou non, les réclamations permettent le dialogue.


Éclairer et divertir

L’arrivée de Peter Krebs à l’ATE a également marqué le début d’une nouvelle ère. Auparavant, avec son équipe, il avait hissé le «Via» des CFF au niveau des revues spécialisées dans les loisirs. Les pages du Magazine ATE se sont alors ouvertes aux carnets de voyage, sous la plume de notre rédaction comme celle d’autrices ou auteurs de renom. Les récits ont eu pour décor quasiment tous les cantons et points cardinaux de l’Europe.

Sensible à la tendance aux escapades citadines, le Magazine ATE a visité Vienne et Berlin, Nantes et Lyon, Olten et Morges, Gênes et Bologne, pour citer seulement quelques villes. Peter Krebs s’est en outre frotté à l’essai, dissertant sur le sens profond et la nature de la randonnée pédestre, sur l’histoire étonnante du bâton de marche ou sur son coup de foudre pour le vélo de course.

Maia, Barbescio et Balladrum

Revenons à notre point de départ, et plus précisément de l’autre côté de la vallée, pour une randonnée à travers l’étrange paysage entre Losone et le lac Majeur. Collines boisées et petites vallées sillonnées de cours d’eau, surprenantes têtes rocheuses, étangs et marais caractérisent le décor. Un réseau de sentiers le traverse et permet de randonner, flâner ou courir des heures durant, toute l’année. Sauf peut-être certains soirs d’été suffocants, quand des nuées de minuscules vampires ailés gâchent tout plaisir.

Un excellent point de départ et d’arrivée est le grotto Raffael, à Losone. À sa droite commence le sentier de randonnée officiel; à sa gauche, un panneau d’information avec plan d’ensemble marque le début d’un autre chemin. Tous deux mènent à la réserve forestière Maia, laissée sans Intervention humaine. Optimiste, la carte indique le périmètre provisoire du parc national.

Nous conseillons l’itinéraire suivant: prendre le sentier de gauche jusqu’à l’étang de Mondrigo, descendre brièvement, monter en direction de Maia – de préférence par la crête de la colline –, puis redescendre jusqu’au rocher rouge de Barbescio pour le contourner ou, encore mieux, le gravir. Cette falaise fera aussi le bonheur de qui aime grimper en famille.

Viennent ensuite Lauro, Zelindo ou la Risata: non plus des reliefs, mais des grotti dans le petit village d’Arcegno. Après cette étape, il est très agréable de partir à l’assaut de la colline de Gratena, et surtout celle de Balladrum, la plus haute de la région, avec ses 483 mètres. Le panorama y vaut celui d’un sommet, bien que la route de Ronco sopra Ascona (ligne de bus 314) passe seulement 80 mètres plus bas. Quand fleurissent ses innombrables bruyères, la Balladrum arbore une coiffe rose-pourpre.

Il faut à peu près une demi-heure pour descendre vers la montagne d’Ascona, le fameux Monte Verità. Le chemin le plus confortable est celui de gauche. Celui du côté lac propose un terrain de randonnée en montagneet des balcons rocheux qui révèlent le caractère sauvage d’Ascona. La topographie et la nature sont assurément dignes d’un parc national. D’ailleurs, les Asconesi avaient clairement voté «oui» pour ce dernier.


Sens et naissance des bons récits de voyage

En pleine expansion, la mobilité liée aux loisirs soulève des questions. L'ATE s'est toujours souciée de proposer des excursions respectueuses de l'environnement. Ses propres rubriques de voyage servent-elles la cause? Posons la question à celui qui est sûrement le mieux placé pour répondre.

Peter Krebs, pourquoi des reportages de voyage et conseils d'excursions dans un magazine comme le nôtre?

Ils sont nécessaires pour donner aux personnes qui rêvent d'évasion de meilleures idées que réserver une croisière ou brûler vingt litres aux cent avec un camping-car. Ce type de voyages cause de grands dommages. Les suggestions du Magazine ATE ont pour vocation d'inspirer à voyager différemment. Le mieux, c'est quand les gens nous disent que nous leur avons permis de passer des vacances inoubliables et de faire des découvertes.  

Comprends-tu que les pages "voyages" puissent paraître moins importantes que les préoccupations politiques de l'ATE?

Pas vraiment. Les lectrices et lecteurs veulent s'informer sur la politique des transports, et les voyages ont également une pertinence politique. Si l'ATE s'abstenait de faire des propositions, les gens ne se cloîtreraient pas, mais chercheraient des idées ailleurs. J'ai autant de plaisir à écrire des papiers politiques que des récits de voyage. La polyvalence fait la force d'un magazine.  

As-tu rencontré des résistances au moment d'étendre considérablement la rubrique?

Très peu à la centrale à Berne, au début. Certaines sections ont émis des réserves, parfois avec pertinence, parfois en donneuses de leçons.  

Comment définirais-tu un bon récit de voyage?

L'idéal est de pouvoir tirer profit de sa lecture même sans accomplir le voyage, parce que l'on aura appris quelque chose sur la destination, avec un texte agréable. Pour moi, la tournure et le style comptent autant que le contenu. Comme n'importe quel texte, un bon récit de voyage demande du travail et des recherches: il ne suffit pas de se balader en prenant quelques notes et photos, puis de se mettre au coin du feu pour rédiger ses expériences à la première personne.

À tes yeux, les voyages de presse et le journalisme indépendant sont-ils compatibles?

J'évite les voyages organisés. Un peu à cause de la dépendance économique qui peut en découler, mais surtout parce que tout recevoir sur un plateau émousse l'assiduité et l'attention. Cela ne donne pas de bons récits. J'ai toujours tenu à suivre mon propre programme, même si je dois payer l'hébergement de ma poche.  

Pour conclure, quel serait ton conseil de routard?

Suivez votre propre chemin, soyez critique vis-à-vis des critiques, et ne partez pas en voyage juste pour fanfaronner dans votre tribu et sur les réseaux sociaux.  

Peter Krebs, journaliste bernois, a été rédacteur en chef du Magazine ATE de 2007 à 2012. Il écrit des livres de randonnées. Président de l'association Sentieri Ossolani, il participe à la restauration de sentiers pédestres dans les vallées de l'Ossola (sentieriossolani.ch).

Quelques temps forts

En France, à vélo

Si on lui demande quel récit de voyage il a préféré dans le Magazine ATE, Peter Krebs fouille dans sa mémoire. Il finit par répondre qu’il y en a plusieurs, courts et longs, mais qu’il a toujours trouvé spécialement riches les excursions à vélo en «France profonde».

Pour commencer, Peter a emmené ses lectrices et lecteurs dans son circuit de 550 kilomètres entre Mâcon et Cahors (no 3/2008), en les avertissant: «La France est une nation cycliste particulière. Ici, la bicyclette est appelée ‹petite reine›, mais elle est traitée comme une servante si ce n’est pas un vélo de course qui fait le Tour de France.» Pourtant, l’Hexa gone reste le plus beau pays à parcourir à vélo, grâce à ses innombrables routes secondaires à faible circulation et à ses cols absents des guides touristiques. «Il faut les découvrir soimême, c’est un flair que l’on acquiert avec le temps. Ils conduisent aux secrets de la France profonde, cette France rurale qui vaque à ses occupations loin des feux de Paris et qui, telle une fleur méconnue, dévoile aux voyageurs de passage un charme tout particulier.»

D’autres rédactrices et rédacteurs de l’ATE parviennent à des conclusions similaires après avoir pédalé entre la Méditerranée, l’Atlantique et la Manche. Tout cela représente un grand nombre de récits qui, une fois réunis, pourraient déboucher sur une belle publication. Pour le 50e anniversaire de l’ATE?

À pied jusqu’à la mer

La discipline numéro un dans les pages «voyages» est la marche à pied, de la promenade au bord d’un lac à la randonnée sur une arête. Le plus long parcours décrit suivait l’arc alpin, des vallées de l’Ossola jusqu’à Vintimille. Le numéro 3/2013 déclarait sa flamme à la GTA – la Grande Traversata delle Alpi, «régal piémontais pour qui privilégie la grande randonnée et les dénivelés» –, mais aussi aux personnes qui ont croisé la route de l’auteur et de ses camarades de randonnée.

«Existe-t-il meilleur moyen d’apaiser le mal du pays que d’avancer pas à pas, avec des heures à profusion pour faire des rencontres qui ouvrent de nouveaux horizons?» Bien sûr que non! On ne fera jamais assez de publicité pour cette tentative exemplaire d’encourager le tourisme doux dans une région périphérique.

Le train plutôt que l’avion

L’ATE a publié une carte générale montrant l’efficacité du train pour relier plus de 60 villes d’Europe. La carte indique les meilleures liaisons ferroviaires, plus confortables et parfois moins chères que l’avion, et la quantité de CO2 émise par chaque moyen de transport.

Le projet «Youth Alpine Interrail» préfère aussi le train à l’avion. Il a pour vocation de sensibiliser sur la protection des paysages alpins et d’encourager les jeunes à découvrir les Alpes en transports publics. Camille Marion, rédactrice à l’ATE, a été l’une des cent jeunes à participer à la première édition durant l’été 2018. Son reportage sur les Alpes au fil de l’eau lui a valu un prix lors du concours narratif. Le bilan du projet est très positif – une seconde édition aura lieu cet été.

 

Le crocus de l'Emmental

Bien avant l'essor des médias sociaux, une proposition de randonnée a fait l'éloge des somptueux tapis de crocus de Rämisgummen, dans l'Emmental. Depuis lors et au grand dam des autochtones, le phénomène naturel suscite chaque printemps une invasion motorisée. Nous clamons notre innocence, car notre principe n'a jamais changé: toutes nos recommandations doivent être accessibles ou faisables à pied, à ski de fond ou de randonnée, à vélo ou en bateau, en taxi alpin ou en téléphérique, mais dans tous les cas sans véhicule privé ni billet EasyJet. Même quand la destination est Dublin ou le phare le plus au nord de l'Europe continentale.

Éditions consacrées aux voyages

Le numéro 3/2008 fut le premier d’une série consacrée aux voyages. Il révélait notamment «où la Suisse se jette à l’eau», décrivait des randonnées du Plateau helvétique aux îles Éoliennes, suggérait un aller et retour Bâle-Moscou en train, prenait le car postal pour faire du paddle et déplorait l’asphaltage des chemins de randonnée, sous le titre «Le pays a besoin de sentiers neufs».

Pour promouvoir une mobilité (de loisirs) écologique, on doit trouver des idées correspondant à la devise d’alors, «voyager avec ménagement», et se soucier de l’infrastructure. Ce qui pourrait vite nous ramener à la politique.

|
Cette page ne s'affiche correctement qu'avec JavaScript. Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur.
.hausformat | Webdesign, TYPO3, 3D Animation, Video, Game, Print